Chapitre VI

Après avoir quitté Walobo, le safari de miss Hetzel, Peter Bald et Brownsky, composé d’une trentaine de porteurs, s’était dirigé vers l’est. Au début, tout alla bien mais, à l’aube du deuxième jour, au moment de lever le camp, on se rendit compte que Chest manquait à l’appel, ainsi que deux bouteilles de whisky d’ailleurs, volées dans les réserves emportées comme éventuelle monnaie d’échange. Pendant près d’une demi-heure on battit les environs, on appela, mais en vain. Chest demeurait introuvable. Finalement, Brownsky fit interrompre les recherches.

— Nous ne pouvons pas rester à attendre ce sacré ivrogne. Que son whisky l’ait étouffé, ou le Diable emporté, peu nous importe… Mettons-nous en route…

Mais Leni Hetzel était intervenue.

— Chest s’est montré coupable en volant ce whisky, dit-elle, mais ce n’est cependant pas là une raison suffisante pour que nous l’abandonnions. Je propose de nous remettre à sa recherche et de lever le camp seulement après l’avoir retrouvé…

Peter Bald choisit ce moment pour intervenir à son tour.

— Miss Hetzel, dit-il, je connais les habitudes de Chest. Quand nous sommes en safari et qu’il a décidé de s’enivrer, il part souvent fort loin du camp pour se réfugier en quelque endroit bien abrité, le plus souvent au sommet d’un arbre, pour y cuver en paix son alcool. Il peut alors dormir des heures et se réveiller fort tard dans la matinée. L’attendre serait nous retarder considérablement…

— Pourtant, glissa Leni, il peut être en danger. Si un fauve…

— En fouillant l’équipement de Chest, coupa Peter Bald, je me suis aperçu qu’il avait emporté sa carabine et son revolver. Chest est peut-être un ivrogne, mais c’est aussi un homme prudent. Il s’arrange toujours pour se réfugier en des endroits où les bêtes sauvages ne peuvent l’atteindre. Ainsi, il ne court pas le risque d’être surpris durant son sommeil, qui est fort lourd. Croyez-moi, Chest a l’habitude de la brousse. Quand il s’apercevra que nous avons levé le camp, il se lancera à nos trousses et, avant ce soir, il nous aura rejoints…

Leni hésita. Quelque chose, dans le ton de Peter Bald, l’incitait à la méfiance. C’était comme si chaque parole prononcée par cet homme était mensongère, et Brownsky ne lui inspirait guère plus de confiance. Plus que jamais, elle regretta le refus d’Allan Wood. Près de lui et de Bob Morane, au moins, elle se serait sentie en sécurité. Cependant, comme elle s’était engagée dans cette aventure en compagnie de Peter Bald et de Brownsky, elle devait continuer à s’en remettre à leurs décisions, du moins jusqu’à nouvel ordre. Une seule pensée la dominait : atteindre la Vallée des Brontosaures et laver la mémoire de son père de tout soupçon. Pour cela, elle se sentait prête à affronter tous les dangers…

— C’est bien, dit-elle à l’adresse de Peter Bald et de Brownsky, nous allons nous remettre en route. Mais je vous préviens, si ce soir Chest ne nous a pas rejoints, nous l’attendrons ou reviendrons à sa recherche…

Peter Bald et Brownsky avaient échangé un sourire. Un sourire qui échappa à Leni, mais qui était lourd de menaces.

 

*
* *

 

Après s’être emparé de deux bouteilles de whisky, Chest s’était dirigé vers l’enceinte du camp et, après avoir réussi à tromper la surveillance des sentinelles, il s’était mis en marche à travers la savane noyée de ténèbres. En agissant ainsi, il n’ignorait pas les risques qu’il courait, mais il était solidement armé et capable de se défendre et, en outre, il serait passé à travers les flammes de l’enfer lui-même pour pouvoir à son aise satisfaire son vice.

Finalement, au bout d’un quart d’heure de marche environ, Chest s’arrêta au pied d’un grand acacia dont le tronc lisse et les branches touffues lui offraient un maximum de sécurité. Excellent grimpeur, il n’eut guère de peine à s’y hisser et, une fois fixé à l’aide de sa ceinture à la fourche de la maîtresse branche, il tira une des bouteilles de sa musette et, la carabine placée à portée de la main, prit lentement le chemin du paradis des ivrognes…

 

*
* *

 

Quand, le lendemain, Chest se réveilla du lourd sommeil dans lequel l’alcool l’avait plongé, le soleil était déjà haut. Chest ouvrit par trois fois sa bouche pâteuse, à la façon d’un poisson tiré hors de l’eau, tendit les bras au-dessus de sa tête et s’étira. Ensuite, comme il restait quelques gorgées de whisky au fond de la bouteille entamée la veille, il vida celle-ci. Aussitôt il se sentit mieux et consulta sa montre. Il était dix heures.

— Faudrait voir à rejoindre le camp, murmura Chest. Si m’ont attendu qu’est-ce qu’y vont m’passer, le Bald et le Brownsky. Mais p’têt’bien qu’y m’ont pas attendu…

Il laissa glisser à terre la musette contenant la seconde bouteille de whisky encore pleine, récupéra sa carabine et sauta à son tour au bas de l’acacia. Immédiatement, il se mit à marcher vers le campement mais, bien entendu, trouva celui-ci désert.

— Évidemment, m’ont pas attendu, fit Chest en ricanant. Tant mieux, ça m’donnera l’occasion d’avoir encore une petite conversation avec cette gentille personne…

Il tâtait avec passion la bouteille pleine, au fond de la musette. Puis, n’y tenant plus, il l’en tira, la déboucha avec fébrilité et y but une longue goulée. Alors, réconforté, il se mit en marche vers l’est, sur la piste du safari…

Pendant tout le jour, Chest marcha à travers la savane. Il avait bien rencontré une famille de lions, mais ceux-ci étaient demeurés bien sagement à l’ombre de leur arbre. Plus tard, deux rhinocéros noirs avaient passé à quelque distance, leurs mufles cornus pointés, cherchant le vent, mais cela n’avait été pourtant qu’une fausse alerte, car ils s’étaient éloignés vers un petit bois de mimosas et s’y étaient perdus.

Tout autre que Chest aurait pu trouver cette marche solitaire longue et harassante mais, à vrai dire, il avait une compagne à la présence réconfortante en la personne de cette bouteille de whisky à laquelle il ne manquait d’ailleurs pas, de temps en temps, de tirer une longue rasade.

À la tombée de la nuit, Chest arriva à proximité de la carcasse de ce rhino mort, dont la peau épaisse avait été vidée à l’intérieur par les insectes. Là, il s’arrêta et inspecta la savane. Presque aussitôt, son visage s’illumina. À un kilomètre de là environ, plusieurs feux brûlaient.

— Le campement, fit Chest à haute voix. Savais bien qu’y finiraient par s’arrêter quéqu’part. Allons, achevons de vider ce flacon, ça nous donn’ra le courage d’affronter messieurs Peter Bald et Brownsky que le diable emporte…

Il tira la bouteille de sa musette, la déboucha et porta le goulot à ses lèvres pour boire une longue, longue gorgée. C’est alors que, dans son dos, une présence se manifesta, et des griffes de fer s’abattirent sur lui.

La Vallée des Brontosaures
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